Sara Lundberg est une autrice et illustratrice suédoise ayant étudié aux Beaux-Arts de Stockholm et qui a déjà publié de nombreux livres traduits dans différentes langues. Plusieurs ont déjà été traduits en français dont L’oiseau en moi vole où il veut aux éditions La Partie dont j’ai déjà parlé ici ou Une Maman si pressée au Seuil jeunesse.

Dans Personne sauf moi, l’on suit une mère et son enfant qui vont passer un après-midi d’été au bord d’un lac pour se rafraîchir. Après quelques jeux, l’enfant s’installe dans une barque arrimée au ponton, barque qu’il décroche pour partir découvrir le monde pendant que sa mère discute, les pieds dans l’eau, avec une autre adulte. S’en suit un voyage aussi méditatif que surprenant, fait de découvertes, d’observations et de rencontres jusqu’à revenir près du ponton et de sa mère sans que personne n’ait remarqué son absence ou ne s’en soit inquiété.

Avec ce personnage et ses pérégrinations, l’on oscille entre réalité et rêve avec toute la subtilité habituelle de l’autrice. Le voyage de l’enfant semble bien réel par certains aspects, des paysages découverts, bien que sans lien entre eux d’une double-page à l’autre passant de la ville à la jungle sans transition, jusqu’au détail de la graine qui lui sera donnée et qu’il va conserver après avoir retrouvé sa mère pour la planter. Si cette graine est mystérieuse et porteuse d’attentes et de promesses, elle fait le lien entre le passé et le futur, entre le rêve et la réalité. Ce voyage, qui ne semble avoir duré dans la réalité qu’un instant, ressemble alors plus à un périple onirique où l’enfant, flottant dans sa barque, laisse ses rêves et pensées vagabonder au fil de l’eau et du monde qu’il observe tel qu’il se l’imagine, avec sa part de magie, croisant des paysages saisissants, des animaux sauvages et un groupe de trois nymphes coiffées de feuillage. Le temps, tout relatif, file alors aussi lentement pour lui qui prend le temps de son voyage que rapidement pour tous ceux autour qui ne s’en aperçoivent pas.

Ce périple, où le canot devient pour lui un navire, peut être vu comme une allégorie du fait de grandir pour cet enfant qui cherche autant son indépendance et les découvertes qu’elle promet, sa volonté de faire les choses seul, de dépasser ses limites, que l’aspect rassurant et protecteur du cocon familial qu’il se plaît à retrouver, de sa mère qui serait le ponton et lui le bateau dans ses premiers jeux. Toute son audace enfantine, entre fierté et peur, tranquillité et admiration, apparaît dans cette liberté qu’il se laisse de la découverte, entre celle du monde et la sienne. Dès le titre, Personne sauf moi, sont évoquées tant cette volonté d’indépendance que cette part de voyage intérieur à conserver, le secret de ses rêveries solitaires qu’il ne partage pas avec les autres.

Les lecteur.ices suivent ici le regard de l’enfant, grandissent et explorent avec lui, à son rythme. L’autrice développe pour cela une narration intéressante évoluant au fil de l’histoire. Ainsi, le texte, constitué uniquement d’un dialogue entre l’enfant et sa mère, est très présent sur les premières pages, puis de plus en plus bref jusqu’à disparaître sur les doubles-pages représentant par des illustrations à bords francs les différentes étapes du voyage, pour revenir à la fin lorsqu’il retrouve sa mère pour rentrer chez eux. Les lecteur.ices sont alors happé.es par ces pérégrinations intérieures racontées par l’image sans narrateur.

Sara Lundberg et son personnage nous emmènent dans leur voyage au travers de paysages luxuriants représentés par la délicatesse des illustrations. Tout un travail est fait à la peinture sans contours où des aquarelles diffuses sont rehaussées de gouaches et de pastels par endroits dans des superpositions apportant profondeur et sensibilité à ces grandes planches que l’on se plaît à détailler. Avant et après, le découpage est différent avec l’apport du texte et par moment une forme de séquentialisation scindant la page en vignettes et montrant l’évolution du rythme au fil du récit. L’on pense par moment aux inspirations picturales de l’autrice qui pourrait être le Douanier Rousseau ou Claude Monet, depuis la couverture où, dans un jeu de reflets, l’eau du lac se confond avec le ciel, renforçant l’aspect onirique de l’album.

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